Inséparables

Journaliste depuis plus de 20 ans, je suis spécialisée en économie. Avec ce premier manuscrit, j'aborde le thème du handicap. Un sujet que je connais bien car, comme l'héroïne, je vis avec une sclérose en plaques depuis 20 ans. Aujourd’hui, il me semble important de témoigner par son biais sur ce sujet pour donner un autre regard tant sur cette maladie que sur le handicap.

A 28 ans, Faustine apprend qu'elle porte une sclérose en plaques. Brutalement, son avenir se brouille. Ses certitudes s'effondrent. Son quotidien tangue. Sa vie de malade ne fait que commencer. Elle se recroqueville. Elle découvre ces odeurs, ces couloirs, ces silences, ces attentes, ces maladresses.

A cheval entre sa vie "normale" et sa vie de malade, elle oscille entre révolte et colère. Le curseur de ses valeurs se réinitialise. Insidieusement, elle chemine jusqu'au handicap, un monde qui lui fait peur mais qu'elle va devoir apprendre à regarder droit dans les yeux. Au-delà cette mobilité qui s’effrite au fil des années, elle veut malgré tout continuer à se frayer un chemin dans cette société mal à l’aise vis-à-vis du handicap. Un jour, elle devient mère, une mère pas tout à fait comme les autres. Son combat devient élan. Pas à pas, chaque victoire compte, même les plus désuètes. Un parcours initiatique qui la confronte à un univers violent mais surtout à elle-même.

Extrait  

Voilà déjà deux mois que Faustine errait de cabinets médicaux en hôpitaux. Plusieurs autres semaines s’écoulaient depuis son dernier rendez-vous et elle entrait cette fois dans un autre immense bureau, lui aussi bizarrement assez sombre. Pleine d’espoir, Faustine briguait cette fois une réponse, un verdict, un couperet, une levée de doute au pire une bride de diagnostic. Face à elle, le neurologue jeta un coup d’œil rapide à son IRM tout en scrutant à la dérobée son agenda.

Puis, il commença à lui réciter l’intégralité du compte-rendu radiologique et employa des mots étranges : inflammation, démyélinisation, substance blanche, substance grise, fibres nerveuses, axones, lésions, influx nerveux, etc. Faustine ne compris clairement que la fin de la phrase “pour le moment, la moelle osseuse n’est pas touchée”.

Tout ce jargon s’embrouillait dans la tête de Faustine, incompréhensible. Puis, il se tut et bascula dans le griffonnage de son agenda. Faustine restait l’observer, hébétée. D’une mimique austère, il lui fit comprendre qu’il n’avait plus rien à ajouter. Elle n’avait pas compris un traitre mot de tout ce charabia et voilà c’était fini, on passait à autre chose, au patient du vendredi 29 juin à 10h. Faustine s’agaçait et mit les pieds dans le plat avec une question fermée, impliquant une réponse précise.

“Quelle est précisément le nom de la maladie dont me vous parlez ?”.

Le neurologue la toisa visiblement surpris de l’incompréhension que manifestait Faustine face aux explications pompeuses qu’il venait de délivrer et lâcha enfin le nom de sclérose en plaques (Sep). De toute évidence piqué dans son orgueil, il afficha un nouveau rictus d’agacement et reporta de nouveau son attention au garnissage de son agenda sans mesurer la portée de ce qu’il venait de répondre, peut-être blasé de ce genre d’annonce. Un léger flottement planait dans l’air. Le temps était comme figé. A cet instant, l’esprit de Faustine se dissocia une nouvelle fois de son corps. Des larmes qu’elles ne parvenait pas à contenir roulaient sur ses joues au fur et à mesure qu’elle tentait d’arracher à son interlocuteur des informations susceptibles d’ouvrir une négociation pour contrer ce diagnostic. Mais le bougre ne lâchait rien, persistait, signait, impartial, incorruptible. C’était une sclérose en plaques point barre. Pour de vrai.